Ton dos fait mal. Tu n'arrives pas à cerner la source de la douleur, ce qui redouble ton irritation. Tu es couché sur le dos, pourtant, observant le plafond, mâchoire tendue. Une fois que tu constates que tu grinces des dents, tu fais un effort conscient d’arrêter. Ton dos fait très mal. Tu lèves tes bras puis les relâche sur le lit. Ça fait mal, ça aussi, de manière encore plus diffuse.

‘Fuck’

Tu essaies de repérer ton téléphone sans bouger. Tu étires ton bras gauche vers la table de nuit. Les bouts de tes doigts effleurent le câble qui relie le téléphone au mur. Tu le tires avec un peu trop d’enthousiasme. Le téléphone glisse. Tenant bien au câble, tu sens le poids du téléphone, qui pend dangeureusement entre le lit et la table de nuit. Tu tentes de tirer le téléphone à toi lentement, en demeurant couché. Pac. Le téléphone, s’étant arraché au câble, est tombé au plancher.

‘Fuck’

Tu seras obligé de te lever pour ramasser le téléphone. Tu n’es pas sûr de l’heure. Il pleut tellement récemment que tu en juges mal si tu dépends seulement de la lueur qui te parvient au travers les rideaux. Tu grinces des dents encore. Tu prends une grande respiration et penses à ta jouirnée. Tu dois envoyer un courriel à ta soeur. Avant de travailler, tu voulais imprimer une demande de passeport. Hamza voulait que vous dîniez ensemble. Pour un instant, alors que tu énumères les trucs que tu dois faire aujourd’hui, la douleur diminue. Tu dois aussi envoyer un courriel à la compagnie d’assurances, avant midi. Tu t’élèves, bougeant vers ton tél- et la douleur t’arrête immédiatement.

‘Fuck’.

Il est permis d'être triste et de s'apitoyer sur son sort entre cinq et sept minutes pas jour. Tu choisi de prendre ces moments dans la douche à chaque matin. Ça tu paraîs un endroit convenable pour ressentir tout le poids de ces émotions. Être lavé par les larmes. Les lamentations sont noyées par le son de l'eau sur la porcelaine et s'écoulant dans le drain, à l'insu des colocateurs. Il est possible que certain fois, la tristess ne monte pas à la surface immédiatement, mais c'est important de faire un effort pour la trouver et exprimés la sentiment dans un acte de survie. Pour prévenir la marée d'émotions de surgir dans un contexte moins approprié.

En un instant le contenu de ton congélateur défile sous tes yeux.

Un poulet, enneigé. Qui date de l’automne dernier.

Dis-moi ce que tu manges, dit-on... et le contenu de ton frigo fait office d’autoportrait.

À part ce poulet, il y a six bananes. Un sac de café moulu. Un contenant de crème glacée, rempli de composte. Un sac de pois, acheté au dépanneur, non pas avec l’intention de le manger; c’est plutôt qu’il coûtait moins cher qu’un ice-pack. Et un bâtonnet de beurre, pour la pâtisserie.
De là à dire que tu feras à nouveau des pâtisseries, rien n’est moins clair.

Qu’est-ce que ce portrait?

Tu ouvres la porte du réfrigérateur et en sors un pichet de jus d’orange fait de concentré. Tu te verses un verre et le bois lentement tout en vaquant à la préparation d’un café. Mais c’est vrai, il ne faut pas, puisque tu n’en bois plus, du moins pas cette semaine. Alors que la bouilloire chauffe, tu retires du fond du placard le nécessaire pour te faire un thé.
Il y a citron-gingembre, pour les maux de gorge. Un mélange de menthe poivrée et d’ortie, puis d’autres trucs aussi - sauvages, cueillis à la main - dans un sac de papier brun. Probablement trop vieux pour avoir quelconque effet. Aussi, il y a ce mélange de framboise, acheté un été pour faire du thé glacé, jusqu’à ce que tu constates que le goût ressemblait trop au Kool-Aid. Puis finalement, un sachet d’Earl Grey du Tim Horton.

Tu considères brièvement de te préparer un déjeuner plus élaboré, mais te résignes à une seule banane, en plus de cette tasse de thé. Peu à peu les exigences de la journée commencent à te travailler. Tu te sens à distance de ces activités plus purement animales que sont manger et de faire tes besoins. Tiré par ces sentiments plus humains, qui charrient tout le reste. Lentement, tu es absorbé.e par la modernité du quotidien. Une dernière pensée avant de t’enfoncer dans une mare interminable de notifications, et que tu sois épris d’un tourbillon de likes et de favoris, et d’autres quotidiennetés moins éphémères, comme ces courriels de la Régie ou les appels du Centre d’emploi.

Une dernière pensée, avant tout ça.
Dis-moi ce que tu manges…
Prenant pour exemple les contenus de ton frigo et ce que tu as choisi comme premier repas de la journée, qui est-tu?